Le chat qui ne ressemble à rien
Le chat qui ne ressemble à rien
Aujourd'hui ne va pas très bien.
Il va visiter le Docteur
qui lui ausculte le coeur.
Votre coeur ne va pas bien
Il ne ressemble à rien,
Il n'a pas son pareil
De Paris à Créteil.
Il va visiter sa demoiselle
qui lui regarde la cervelle.
Votre cervelle ne va pas bien
Elle ne ressemble à rien,
Elle n'a pas son contraire
A la surface de la terre.
Voila pourquoi le chat qui ne ressemble à rien
Est triste aujourd'hui et ne va pas bien.
Robert Desnos, La ménagerie de Tristan
Le chat et l'oiseau
Un village écoute désolé
Le chant d'un oiseau blessé
C'est le seul oiseau du village
Et c'est le seul chat du village
Qui l'a à moitié dévoré
Et l'oiseau cesse de chanter
Le chat cesse de ronronner
Et de se lécher le museau
Et le village fait à l'oiseau
De merveilleuses funérailles
Et le chat qui est invité
Marche derrière le petit cercueil de paille
Où l'oiseau mort est allongé
Porté par une petite fille
Qui n'arrête pas de pleurer
Si j'avais su que cela te fasse tant de peine
Lui dit le chat
Je l'aurais mangé tout entier
Et puis je t'aurais raconté
Que je l'avais vu s'envoler
S'envoler jusqu'au bout du monde
Là-bas où c'est tellement loin
Que jamais on n'en revient
Tu aurais eu moins de chagrin
Simplement de la tristesse et des regrets
Il ne faut jamais faire les choses à moitié.
Jacques Prévert, Histoires et d'autres histoires
Le chat
Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d'agate.
Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s'enivre du plaisir
De palper ton corps élastique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,
Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
LA MERE CHATTE
(pour Nana)
"Un, deux, trois, quatre... Non, je me trompe. Un, deux, trois, quatre, cinq, six... Non, cinq. Où est le sixième? Un, deux, trois... Dieu, que c'est fatigant! A présent, ils ne sont plus que quatre. J'en deviendrai folle. Petits! petits! Mes fils, mes filles, où êtes-vous?
"Quel est celui qui se lamente entre le mur et la caisse de géraniums? Je ne dis pas cela parce que c'est mon fils, mais il crie bien. Et pour le seul plaisir de crier, car il peut parfaitement se dégager à reculons. Les autres?...Un, deux, trois... Je tombe de sommeil. Eux, ils ont tété et dormi, les voilà plus vifs qu'une portée de rats. Je m'enroue à répéter le roucoulement qui les rassemble, ils ne m'obéissent pas. A force de les chercher, je ne les vois plus, ou bien mon souci les multiplie. Hier n'en ai-je pas compté, effarée, jusqu'à neuf? Ce jardin est leur perdition.
"Où sont-ils? où sont-ils? Un, deux... Deux seulement! Et les quatre autres? Répondez, vous deux; sottement occupés l'un à manger une ficelle, l'autre à chercher l'entrée de cette caisse qui n'a pas de porte! Oui, vous n'avez rien vu, rien entendu, laids petits chats-huants que vous êtes, avec vos yeux ronds!
"Ni dans la cuisine, ni dans le bûcher! Dans la cave? Je cours, je descends, je flaire... rien... Je remonte, le jardin m'éblouit... Où sont les deux que je gourmandais tout à l'heure? Perdus aussi? Mes enfants, mes enfants! Au secours, ô Deux-Pattes, accourez, j'ai perdu tous mes enfants! Ils jouaient, là, tenez, dans la jungle des fusains; je ne les ai pas quittés, tout au plus ai-je cédé, une minute, au plaisir de chanter leur naissante gloire, sur ce mode amoureux, enflé d'images, où ressuscitent mes origines persanes... Rendez-les moi, ô Deux-Pattes puissants, dispensateurs du lait sucré est des queues de sardines! Cherchez avec moi; ne riez pas de ma misère, ne me dites pas qu'entre un jour et le jour qui vient je perds et retrouve cent fois mon sextuple trésor! Je redoute, je prévois un malheur pire que la mort, et vous n'ignorez pas que mon instinct de mère et de chatte me fait deux fois infaillible!...
"Tiens!... D'où sort-il, celui-ci? C'est, ma foi, mon lourdaud de premier, tout rond, suivi de son frère sans malice. Et d'où vient celle-ci, petite femelle impudente, prête à me braver et qui jure, déjà, en râlant de la gorge? Un, deux, trois... Trois, quatre, cinq... Viens, mon sixième, délicat et plus faible que les autres, plus tendre aussi, et plus léché, toi pour qui je garde l'une de mes lourdes mamelles d'en bas, inépuisable, dans le doux nid duveté de poil bleu que te creusent mes pattes de derrière... Quatre, cinq, six... Assez, assez! Je n'en veux pas davantage! Venez tous dans la corbeille, à l'ombre fine de l'acacia. Dormons, ou prenez mon lait, en échange d'une heure de répit -je n'ai pas dit de repos, car mon sommeil prolonge ma vigilance éperdue, et c'est en rêve que je vous cherche et vous compte: un, deux, trois, quatre..."
Colette, La paix chez les bêtes
LA JAVA DES PUSSY-CATS
Sur un vieux toit en zingue
Y avait des pussy-cats
Qui dansaient comme des dingues
En f'sant du bruit avec leurs pattes
Alertés, les voisingues
S'écriaient ça n'a rien d'bath
Y a d'quoi dev'nir sourdingue
On peut plus travailler ses maths
Le matou du marchand d'volailles
Une sardine en bandoulière
Avait enlacé par la taille
La chatte de la cuisinière
Chacun faisait du gringue
A la siamoise de l'épicier
C'était un vrai dancingue
A tout l'monde ils cassaient les pieds
Au bout d'une demi-plombe
Ecoeurés par ce raffut
Les flics s'amènent en trombe
En faisant tourner leurs massues
Et c'est une hécatombe
Les ardoises volent en éclats
On aurait cru des bombes
Mais y avait déjà plus un chat
Réfugiés au fond d'une cave
Les pussy-cats pas dégonflés
Sirotant d'l'alcool de betterave
S'étaient remis à gambiller
Toute la nuit ils dansèrent
En usant des kilos d'savates
Pour leur anniversaire
La java des pussy-cats
Boris Vian